Rapprochement
Paris, le 21 mai 2004...
Il y a un énorme avantage à être vieux. Selon grand père Latvami, une telle longévité permettait de tout dire à sa descendance. Etre odieux, à ce stade, pouvait être désaltérant. Mais ce fossé générationnel ne semblait pas de nature à contraindre la teneur des propos de sa petite fille: l'insolente Sarla. A trente ans, il lui était tout à fait extraordinaire de n'être entretenu que de maladie pendant les moments où son grand-père avait l'occasion de lui parler. Elle en ressortait toujours un peu coupable d'être jeune et si bien portante.
Les brefs bâillements dont l'intention même n'était pas feinte invitaient, pourtant, l'homme à comprendre qu'il était temps pour elle de prendre congé. La vieillesse se charge souvent de fournir la jeunesse en conseils propices à son épanouissement alors même qu'elle se satisferait d'un éloquent silence.
Le vieil homme avait cette faculté commune à tous les octogénaires (encore en pleine possession de leurs capacités vocales) à la fois d'épuiser et de rompre la résistance nerveuse des moins expérimentés.
Mais le mépris de sarla pour toute forme d'acquiescement n'exprima rien de nature à remplir la pièce en ondes positives. Toujours saisie du désir de voir les effets de ses provocations sur son grand père, elle électrisa l'ambiance d'un raclement de gorge.
Des pas se rapprochaient. L'espace d'un moment l'un et l'autre gardèrent le silence, puis, se tinrent par la main au moment où le docteur, la mine grave, pénétra la chambre d'hôpital.
lI peut sembler que toute une vie nous ne pensons à rien d'autre que haïr, mais les quelques minutes solennelles qui précèdent un diagnostic médical, peuvent considérablement changer notre point de vue sur les choses et l'importance de nos sentiments.
Alexandre A